Dans le cadre de la Conférence Internationale du CAE et de l'UIA sur les concours d'architecture, Eva Jiřičná nous a accordé un entretien pour évoquer sa définition de la qualité dans l'environnement bâti, de l'évolution de la profession, des régulations et de la nature.
CAE: Le mois dernier, lors de la Conférence Internationale sur les Concours d’Architecture organisée par le CAE-UIA à Paris, vous étiez membre du panel dédié à la promotion de la qualité. A vos yeux, quelle est la définition de qualité?
Eva Jiřičná : Le simple terme de “qualité” signifie plusieurs choses différentes. Bien sûr, nous avons de grandes attentes concernant la qualité du design, de tout ce qui émane des mains d’un architecte. L’objet ou le produit doit être visuellement plaisant, le design doit être équilibré et adapté à l’objectif défini, enfin il doit confirmer le fait que la tâche fut réalisée par un professionnel qui savait ce qu’il faisait et maîtrisée par un degré d’expérience suffisant.
D’autre part, nous attendons également que le produit fonctionne bien et qu’il soit fait de matériaux adaptés à l’objectif, qu’il soit durable avec un entretien facile. L’objet doit aussi avoir un bon rapport qualité-prix, et être facilement utilisable....
Nous pourrions continuer ainsi à l’infini, mais il y a une chose qu’il faut rajouter. La qualité comporte de multiples niveaux différents. Il y a une différence si nous concevons des résidences pour étudiants ou des hôtels 5 étoiles, des commerces vendant des biens d’occasion ou des boutiques de designers. Cela est lié à a la répartition du budget et aux priorités posées qui amènent les architectes à articuler différents types de qualité dans un ordre spécifique. Nous approchons différemment le projet si nous concevons une école en Afrique payée par un organisme de bienfaisance ou un projet pour un laboratoire de recherche high-tech dans l’une des meilleures universités. Quoique nous faisons, nous devons toujours travailler avec un budget ou une limite de coûts, mais nous devons faire les bons choix.
CAE : Talent, modestie, discipline, effort, expérience, courage, chance... Durant la conférence, vous avez présenté une feuille de route pour réussir des projets. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Eva Jiřičná : Il y a quelque temps, une personne s’est adressée à moi et m’a demandé si je pouvais décrire un processus de conception ou simplement exposer la manière dont nous l’accomplissons. Après réflexion, et comme les architectes ont toujours un morceau de papier et un crayon à portée de main, j’ai dessiné ce schéma qui est aujourd’hui assez bien connu…
Cela montre simplement qu’il y a un long chemin entre la création et la réalisation, et que le chemin est souvent compliqué, non linéaire. J’ai également ajouté les qualités d’un architecte et la quantité de travail qui doit être investie dans chaque projet.
Et, au final il n’y a pas de garantie que le résultat soit un grand succès!
CAE : A vos yeux, quel est le rôle des politiques architecturales ?
Eva Jiřičná : Je ne suis pas sûre de bien comprendre la question. En matière de politiques de planification et de restriction, certaines d’entre elles sont obligatoires, d’autres comme des thématiques plus ‘vertes’ sont liées à nos responsabilités et à notre conscience. Je cherche toujours à comprendre les limites (régulations, limites ou restrictions auxquelles nous devons faire face) je les accepte si je suis d’accord, sinon je plaide contre. Mais je dois admettre avec peu de succès dans de nombreux cas.
CAE : En 2013, vous avez remporté le Prix Jane Drew pour votre remarquable contribution au statut des femmes en Architecture. Assiste-t-on à une transformation dans le monde de l’Architecture? Quels sont les plus grands défis pour les femmes dans ce domaine?
Eva Jiřičná : J’ai obtenu mon diplôme d’architecte à Prague en 1962. Oui, il ne s’agit pas d’une erreur. Il y avait plus de 70 étudiants dans mon année, dont seulement 6 femmes. Il n’y avait presque pas de toilettes pour femmes à l’École d’Architecture, un petit détail qui en dit long. Il y a plus d’étudiantes dans la plupart des écoles d’Architecture en Europe et aux États-Unis, avec de brillants résultats. Il y a des bureaux avec une proportion très élevée de femmes architectes. Le RIBA a eu de nombreuses présidentes,... En effet, aujourd’hui la situation a considérablement changé. Mais il reste encore des problèmes et un chemin à parcourir. Le plus grand défi pour moi est de cesser de parler de Femmes Architectes et de me référer à des Architectes. L’adjectif n’est pas nécessaire...
CAE : En termes de matériaux et d’apparence, comment pensez-vous que vos projets vont vieillir?
Eva Jiřičná : Je ne pense pas que le problème du vieillissement concerne les matériaux mais plutôt la qualité du design. Si les projets fonctionnent bien, que l’esthétique est intemporel (ou plutôt pas irritant pour la nouvelle génération serait plus approprié) alors ils seront durables. Hélas, la technologie actuelle nous déçoit. Tout change dans la profession, l’électricité, les technologies informatiques, les nouvelles manières de travailler, l’éclairage, les méthodes de constructions et les matériaux… Dans mon expérience pratique de plus de 50 ans je vois des choses disparaître, certaines remplacées, je suis contrariée seulement lorsque la solution de rechange s’avère être pire que celle qui existait avant…
CAE : “L'espace, la lumière et l'ordre. Ce sont les choses dont les hommes ont besoin autant qu'ils ont besoin de pain ou d'un endroit où dormir -Le Corbusier, 27 Août 1965 » La lumière est clé pour vous? Vous projets intègrent une approche très organique. Quelle est votre relation avec la nature?
Eva Jiřičná : Plus je travaille et plus je vis, plus je suis convaincue que la solution à tous les problèmes du monde, se trouve dans une meilleure connaissance de la nature. La nature dispose de tous les secrets pour une vie parfaite sur cette planète si nous apprenons à la comprendre. Je suis inspirée, sans cesse étonnée et surprise par la nature. Je cherche mon inspiration du début à la fin au coeur de la nature.
CAE : Quelle est la source de votre inspiration?
Eva Jiřičná : Comme évoqué précédemment, la nature est une source permanente d’inspiration, il y a une richesse infinie dans tout ce que nous donne la nature. Mais l’inspiration émane de partout- les dessins des enfants, les objets high-tech, les livres, les pensées, les comportements des gens, tout autour de nous, peut nous donner cette petite impulsion qui suscite une réaction en chaîne.
CAE : Alejandro Aravena recommendent aux jeunes architectes d’être aussi libres, nerdy et rebelles que possible. Quels conseils leur donneriez- vous?
Eva Jiřičná : Mon conseil n’est pas aussi radical que celui d’Alejandro. Je sais que si l’on fait quelque chose que l’on aime, on le fait bien. Et c’est cet amour pour ce que l’on fait qui est le moteur en terme d’énergie, qui donne la force de se battre et de le défendre si besoin, c’est ce qui principalement nous donne le plaisir de la vie.
Crédits photo : Tomas Trestik