Dans le cadre de la Conférence Internationale du CAE et de l'UIA sur les concours d'architecture, Dominique Perrault nous a accordé un entretien pour évoquer sa vision des consultations, de la ville de demain, mais aussi du changement climatique et de son concept phare de Groundscape.
ACE : Vous intervenez prochainement à la conférence internationale du CAE-UIA sur les concours d’architecture. En 1989, à 36 ans vous avez remporté le concours pour réaliser la Bibliothèque nationale de France, une position d’outsiders face à près de 250 concurrents. A vos yeux, les concours architecturaux sont-ils toujours synonyme d’opportunités; une plateforme de créativité et de qualité?
Dominique Perrault : Lors de cette conférence, je souhaite notamment évoquer une consultation que nous avons organisée pour les écoles d’architectures sur le thème ‘Chambord, inachevé’. Cette année, le château de Chambord fête ses 500 ans. Plus d’une vingtaine d’écoles dans le monde ont répondu à notre consultation pour réinventer le château de Chambord : des étudiants issus des quatre coins du monde, d’Australie, du Japon, d’Amérique du Sud ou encore d’Europe. Un concours qui a permis de rassembler une centaine de projets, qui représentent autant de collages, autant d’utopies. Nous avons développé une véritable plateforme de créativité, qui s’est suivie d’un PechaKucha avec près de 220 étudiants du monde entier venus à Chambord pour l’exposition des projets.
La différence avec le concours de la Bibliothèque nationale de France réside dans l’approche totalement numérique, les échanges via internet, qui ont permis à une centaine d’étudiants de travailler sur ce projet sans se déplacer. Les concours sont toujours synonymes de découvertes, de propositions innovantes, intéressantes et quelques fois extrêmement enthousiasmantes Même si les concours publics ont beaucoup diminué en nombre et en importance. La commande privée est moins élargie que la commande publique qui lance des programmes qui intéressent la collectivité, la commande privée lance des programmes plutôt liés à des opérations.ACE : Vous venez de participer au 'Monde Festival' à Paris pour échanger sur vos rêves quant à la "ville demain ». Comment la rêvez-vous?
DP : La ville de demain sera une ville beaucoup plus mutualisée que celle que nous connaissons aujourd’hui. Il s’agit de partager plus de lieux, publics ou privés, comme le propose Airbnb ou d’autres. Citons comme exemple le Village Olympique, un projet sur lequel nous travaillons en tant qu’ urbanistes. Les villes cherchent aujourd’hui davantage à construire des quartiers qui ne sont plus seulement des quartiers en eux-mêmes mais des quartiers conçus par rapport à des environnements existants, ce qui permet de transformer des environnements plus ou moins adaptés comme des friches industrielles en de nouveaux quartiers, plus connectés en terme de réseau de transports et d’usages (habitat, travail, services, etc.). L’idée même de la mutualisation de la ville est constante et permanente dans notre approche, tant sur le programme que sur tous les autres plans, sociaux, culturels ou encore économiques.
ACE : Avec le concept de 'Groundscape', vous explorez depuis des années l’art de bâtir sous les sols. Comment décririez-vous cette architecture ‘épidermique’ et quelle est votre relation à la terre/au sol?
DP : Cela prolonge la question de la mutualisation, c’est-à-dire de trouver ‘plus’ au même endroit. Plus de possibles. Le sol devient ainsi une ressource et non pas un lieu dans lequel il n’y a que des infrastructures. Utiliser ‘l’épiderme de nos villes’, signifie prolonger les bâtiments dans le sol, leur créer des racines, et donc un réseau complémentaire qui offre plus services aux ‘pieds’ des immeubles.
ACE : L’architecture peut-elle apporter des solutions aux questions posées par le changement climatique?
DP : C’est une question essentielle car le secteur du bâtiment et de la construction représente<s>nt</s> le premier pollueur. Il y a du travail avec l’architecture pour une ville plus durable et résiliente aussi bien du point de vue de la construction que de l’urbanisme. C’est un sujet extrêmement lié à la vision de la ville et de son développement dans les décennies à venir. Il est temps d’un ‘wake up’!
ACE : Vous travaillez sur la transformation de l’ile de la cité à Paris. Quelle est votre ambition pour rénover, réutiliser, reconvertir le patrimoine architectural?
DP : L’île de la Cité est un trésor en termes de patrimoine, c’est une île monument dans son ensemble. Pour que ces différents monuments retrouvent un fonctionnement plus urbain, il faut les penser comme des éléments solidaires à travers un espace public régénéré, réutilisé, pour une ouverture de ces bâtiments sur les places, qui permette leur traversée. Ce qui soulève des questions complexes en termes de sécurité mais aussi des questions ambitieuses : Comment mutualiser ces espaces communs pour accueillir les citoyens, leur fournir des renseignements, des services, … Il y a une transformation importante de la relation entre le citoyen et l’institution, entre le citoyen et l’état. L’île de la Cité représente ce lieu de transformation plus démocratique avec des institutions mises au service de la communauté. Le drame de Notre-Dame (l’incendie) révèle cette île qui est au cœur du cœur et qui porte en elle la transformation de Paris. Elle renvoie à l Etat et donc à l’ensemble du pays, c’est un lieu de dimension nationale.
ACE : Nous organisons en décembre prochain une conférence à Barcelone: ‘Perspectives: le forum des jeunes architectes.' Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération d’architectes. Quels conseils leur donneriez- vous?
DP : Je fais toujours référence à une culture marxiste. Lénine disait ‘rabota, rabota rabota’, une devise qui était gravée dans la pierre des monuments soviétiques, ce qui signifie ‘travailler, travailler, travailler.»
ACE : Comment voyez-vous vos bâtiments vieillir?
DP : Cela dépend de leurs utilisateurs. Certains les entretiennent avec beaucoup de soin comme la Cour Européenne de Justice à Luxembourg qui entretient le bâtiment avec beaucoup d’attention. Tout comme l’Hôtel du Département de la Meuse construit il y a plus de 25 ans, qui est encore dans son ‘jus’, ou encore le vélodrome et la piscine olympique de Berlin. Tous ces utilisateurs et les propriétaires considèrent que les bâtiments n’ont pas vieilli car ils n’ont pas d’âge. Leur architecture plutôt classique ne vieillit pas. Elle s’inscrit dans un temps long, elle ne s’intéresse pas à la mode, même si on la critique parfois pour cela. Mais l’architecture classique résiste et elle est davantage résiliente face au temps qui passe.