Dans le cadre du Forum des jeunes Architectes qui s'est déroulé l'an passé à Barcelone, Jaufret Barrot nous a accordé un entretien pour évoquer la qualité dans l'environnement bâti, l'architecture durable, la réutilsation des espaces vides, le prix YTAA ou encore la pertinence des politiques architecturales.
CAE : Merci d’avoir participé au Forum des Jeunes Architectes à Barcelone sur le thème de Perspectives. Que retenez-vous de cette journée de débats et d’échanges ?
Jaufret Barrot : « Je retiens deux aspects importants. Tout d’abord, remettre l’humain au centre de nos projets. Il y a une demande de plus en plus présente des citoyens pour des projets pragmatiques, où ils peuvent s’impliquer, faire par eux-mêmes et être acteur. Enfin, l’urgence climatique exige des architectes d’être ambitieux sur le plan environnemental et d’aller plus loin que la simple réglementation.
C’est encourageant de voir naître des projets exemplaires à travers toute l’Europe. Ces nouveaux challenges nous obligent à réinventer notre profession, à collaborer davantage. Il y a une tendance positive et optimiste des jeunes architectes à travailler collectivement pour apporter des solutions concrètes, c’est enthousiasmant ! »
CAE : Finaliste du Young Talent Architecture Award en 2016, que représente ce prix pour votre carrière ? Quelles sont les opportunités dessinées par ce prix ?
Jaufret Barrot : « Ce prix marque la fin de mes études et le démarrage dans la vie professionnelle. Il valorise l’ensemble du travail réalisé, pendant un an, dans le quartier de Bordelongue à Toulouse, avec ma collègue Cinthia Carrasco dans le cadre de mon projet de fin d’études et mes deux enseignants, Daniel Estevez et Francine Zarcos. Le prix Young Talent Architecture Award a offert de la visibilité à mon projet et une certaine reconnaissance auprès des acteurs institutionnels qui y ont été attentifs et facilitateurs dans la mise en œuvre de projets d’occupations transitoires de bâtiments vacants.
Ainsi, c’est notamment grâce à tout ce travail et ce prix que j’ai pu lancer ma propre agence d’architecture Hors-Pistes Architectures et ouvrir sur Toulouse, en collaboration avec l’Agence Intercalaire et Studio-K, un premier centre d’hébergement d’urgence temporaire de 220 personnes dans un bâtiment public (vide depuis 5 ans).»
CAE : « Lors du Forum vous avez interpellé le public en posant la question suivante « Pourquoi bâtir de nouveaux bureaux alors que notre patrimoine est souvent sous-utilisé, avec de nombreux espaces vides. » Construire moins et valoriser le patrimoine existant serait une réponse pour agir sur l’atténuation du changement climatique ? »
Jaufret Barrot : « Nous faisons face au plus grand défi que notre société a dû relever, à savoir, limiter le dérèglement climatique engendré par l’activité humaine. Derrière cette question à laquelle vous faites référence, j’interroge notre modèle de développement, basé sur la croissance, génératrice de gaspillage et de surconsommation. Ce modèle est aussi le moteur de la construction. De nos jours, une grande partie des projets immobiliers sont équivalents à des produits de consommation, répondant à une mode, conçue pour un usage prédéfini et pour une certaine durée de vie.
C’est une vision à court terme. Par exemple, un bâtiment de bureau de plus de 5 ans est considéré comme un bâtiment ancien par ceux qui les commercialisent. Il nous faut regarder différemment ce que l’on construit, mais aussi valoriser les éléments existants, ce qui est déjà-là. Il faut reconsidérer ces espaces résiduels, à savoir les bâtiments vacants. Ce sont des ressources et des opportunités.
En France en 2016, l’observatoire immobilier d’entreprise d’Île-de-France estimait à plus de 5 millions de mètres carrés de bureaux vacants. À Toulouse, ce sont plus de 450 000 de mètres carrés de bureaux vides. Alors que la population augmente de 18 000 personnes par an, les architectes doivent-être force de proposition pour optimiser l’utilisation de ces bâtiments vacants, soit en les adaptant lorsque cela est possible, soit en les rénovant et les transformant de manière définitive. »
CAE : Votre projet « Eux-RE » s’inscrit dans une démarche participative, avec un diagnostic établi avec les habitants pour dessiner le projet architectural. L’humain au centre. Pouvez-vous nous parlez un peu plus de ce projet et de votre démarche d’inclusion des habitants ? Et du rôle de l’architecte.
Jaufret Barrot : « Ce projet Eux-re, s’inscrit dans le cadre de l’appel à projets, Dessine-moi Toulouse. Il se situe sur les anciens ateliers municipaux de Lapujade. Nous avons choisi d’être le plus inclusifs possible et le plus pragmatiques. Les bâtiments existants abritaient depuis un an, de jeunes structures de l’économie sociale et solidaire, dont l’activité est basée sur du travail d’insertion par la réparation de vélo. Ces types de structures font face à la difficulté de trouver des locaux abordables en ville à cause de la pression immobilière. Cependant, ces activités sont de réels leviers de lien social dans un quartier et sont générateur d’emplois. Afin de pérenniser ces structures en villes, nous avons donc imaginé un projet d’auto-rénovation des ateliers existants, par les structures elles-mêmes, qui était le seul modèle économique viable pour elles. Nous avons organisé des réunions de travail et des rencontres avec les associations d’habitants du quartier, les structures de l’économie sociale, solidaire et culturelle pour construire avec elles cette réponse à l’appel à projets. Nous avons joué le rôle moteur de mise en relation entre tous ces acteurs pour structurer l’équipe. Nous avons aussi dû jouer le rôle de médiateur, pour synthétiser l’ensemble des besoins et traduire tout cela en un projet réalisable.
Il en découle un projet mixte, mêlant la rénovation des ateliers, la création de 60 logements neufs, dont 42 en habitat participatif porté par le Comité Ouvrier du Logement (COL). Ce projet intègre aussi la rénovation de l’ancienne halle de menuiserie pour permettre l’installation future d’un pôle culturel porté par la Forêt Électrique, mêlant diffusion et création audiovisuelle. Le projet Eux-re se veut le plus ouvert possible au quartier. L’occupation de ce site de manière transitoire par l’Agence Intercalaire va également contribuer à activer ce lieu dès cette année et permettre l’implication des usagers dans le projet. »
CAE : Comment voyez-vous vos projets vieillir ?
Jaufret Barrot : « En remettant au cœur du projet les usagers, l’objectif premier est que le bâtiment corresponde mieux à leurs besoins. D’autre part, en reprenant une place importante dans la vie et la gestion du lieu, en les accompagnant vers une autogestion, cela limite les risques de détériorations. Cela favorise la mise en place d’un climat opportun pour le bon vieillissement du bâtiment, avec un entretien réel sur le long terme. En implication les usagers dans le projet, on les responsabilise.
L’idéal serait que mes projets continuent à abriter de la vie, même si les acteurs et les usagers avec lesquels j’ai travaillé initialement changent. Pour qu’un projet vieillisse bien, outre la qualité initiale à mettre en œuvre dans le bâtiment, il faut qu’il soit suffisamment bien conçu pour être le plus évolutif possible et ne pas limiter les transformations et l’adaptation future du bâtiment. »
CAE : Selon vous, quelle est la pertinence des politiques architecturales ? Quelles sont vos attentes au niveau de l’UE pour soutenir l’exercice de la profession et garantir la qualité de l’environnement bâti ?
Jaufret Barrot : « La limite selon moi des politiques architecturales sont celles n’ayant que des objectifs quantitatifs et peu d’exigence qualitative, comme on a pu le voir par le passé dans les années 70 en France avec la création des villes nouvelles. Ce patrimoine-là est d’ailleurs en majorité voué à la démolition, car les politiques de renouvellement urbain orientent pour leur démolition. Dans certains cas, cela est nécessaire lorsque le bâtiment est trop vétuste ou de mauvaise qualité.
Cependant, cette politique ne pose par la vraie question, à savoir, ce que veulent les habitants de ces résidences et comment améliorer leur cadre de vie. Les politiques publiques architecturales restent des visions top-down prenant très peu en compte la place des usagers dans la conception et la mise en œuvre. L’Union Européenne joue un rôle de plus en plus large sur la politique environnementale et la réglementation de la profession. Elle peut favoriser l’innovation et la recherche en architecture, pour permettre d’intégrer plus largement l’implication des usagers dans les projets, la réutilisation des bâtiments vacants, le réemploi de matériaux issus de la déconstruction et d’élargir les performances environnementales en intégrant des critères de valeurs d’usage et sociales. »
CAE : A vos yeux, à quoi ressemblera l’architecture dans les décennies à venir ? Quelles sont les nouvelles tendances ?
Jaufret Barrot : « J’imagine une architecture pragmatique, organique, vivante, utilisant à bon escient la technologie et les ressources locales en matériaux, mais aussi en emplois. J’imagine une architecture épousant la question environnementale de manière globale. C’est à dire, qu’elle ne peut pas se limiter à de simples performances énergétiques. Parfois, je vois l’architecte comme un médecin qui ausculte un patient. Notre rôle est d’étudier un bâtiment ou un territoire et de proposer le meilleur traitement possible, avec et pour les usagers. C’est ce qui se traduit d’ailleurs par l’émergence de collectifs en architecture, ou les nouvelles pratiques, sont de concevoir et construire les projets avec les bénéficiaires, de manière bottom-up, pour être au plus proche de la réalité des besoins et le plus pertinent possible.
L’architecte a un réel rôle à jouer dans la transformation de la société et dans l’amélioration de notre cadre de vie. »
CAE: En tant que jeune architecte, quel est le meilleur conseil que l’on vous a donné?
Jaufret Barrot : « Le meilleur conseil que l’on m’ait donné provient de mes deux enseignants de master, Daniel Estevez et Francine Zarcos qui m’ont toujours stimulé à persévérer dans mon travail sur les projets qui me tiennent à cœur, car faisant sens sur le plan humain. À travers leur enseignement, ils m’ont appris à conserver un regard critique sur notre société et à affirmer mes valeurs, tout en gardant un regard neuf et une certaine innocence afin de continuer à imaginer et créer une architecture pragmatique et ancrée dans son environnement. »
A propos
Jaufret BARROT est un architecte français et ingénieur Génie-Civil basé à Toulouse (France).
Il a été finaliste du prix Young Talent Architect Award en 2016. Il a conçu une solution d’adaptation temporaire de bâtiments vacants pour créer un centre d’hébergement temporaire impliquant l’ensemble des usagers, habitants et travailleurs du quartier(Le triangle vivant de Bordelongue à Toulouse).
Depuis 2016, il continue de développer le concept de réutilisation de bâtiments vides. Il a fondé en 2017 son agence d’architecture, Hors-Pistes Architectures.
Vidéo
Le 23 novembre 2019, le CAE a organisé une conférence à Barcelone sur le thème "Perspectives" invitant des jeunes architectes d'Europe à exprimer leurs opinions quant à la profession mais aussi leurs visions et attentes pour le futur.
La vidéo de la session - avec les présentations puis un panel de discussion avec Sebastian SKOVSTED, Johansen Skovsted Arkitekter (Danemark) Jaufret BARROT, Finaliste du "2016 Young Talent Architecture Award" (France) N’UNDO (Espagne) Filipe MAGALHÃES, Fala Atelier (Portugal) - est disponible sur la chaîne youtube du CAE.